– Propagande pro prostitution : une étude de cas.

La propagande de la prostitution.

par Rae Story, écrivaine et survivante de la prostitution

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« Et si tous les autres acceptaient le mensonge que le Parti imposait –si tous les fichiers contaient la même histoire- alors le mensonge passait dans l’Histoire et devenait vérité. ‘Celui qui contrôle le passé’ scandait le slogan du Parti, ‘contrôle le futur : celui qui contrôle le présent contrôle le passé ». George Orwell

« Il ne serait pas impossible de prouver avec assez de répétition et une compréhension psychologique des personnes concernés, qu’un carré est en fait un cercle. Ce ne sont que de simples mots et les mots peuvent être moulés jusqu’à ce qu’ils revêtent des idées et se déguisent. » Goebbels

Récemment, l’ECP – The English Collective of Prostitutes (Le collectif Anglais des Prostituées) – a lancé une campagne émotive appelée Make Mum Safer (Plus de Sécurité pour Maman), qui floute les frontières entre prostituées et profiteurs. La campagne a publié un film, banal, mielleux, et émotionnellement manipulateur qui mettait en scène une poupée utilisée à la place d’une mère qui va travailler en tant que prostituée mais qui est tuée parce qu’elle doit travailler toute seule. Dans la rue.

Le film est utilisé pour défendre la décriminalisation de l’industrie du sexe, mais dans la tradition de propagande de Sergei Eisenstein*, il demande une chose verbalement, tout en exposant une autre différente visuellement. C’est une puissante technique qui bien évidemment manipule les émotions des participantEs qui soutiennent la campagne.

Qu’est-ce-que je veux dire ?

Presque toutes les personnes qui ont un intérêt sincère dans ce sujet croient en une forme de décriminalisation de l’industrie du sexe, plus particulièrement de celles et ceux qui travaillent dans la rue et généralement de toute personne prostituée. En cas de désaccord, la question porte sur savoir si les proxénètes devraient être décriminalisés ou pas. On ne va pas y aller par quatre chemins, l’ECP et compagnie, soutiennent à 100% la décriminalisation absolue de toute forme de proxénétisme, à partir du moment où la fille n’a pas un flingue sur la tempe.

Je ne voudrais pas rabâcher, mais quiconque est familier des nations permissives envers le proxénétisme (allez, appelons-les les NPP !) – comme l’Allemagne ou la Nouvelle-Zélande – sait que cette forme de décriminalisation de l’industrie ne se préoccupe pas de l’émancipation individuelle des femmes dans de petites coopératives, mais a plutôt permis des opérations industrielles à grande échelle ; larges bordels qui n’emploient pas les femmes mais qui leur louent leurs espaces sous contrat, et qui préparent leur locaux pour absorber le profit de l’industrie permettant ainsi à un petit nombre d’hommes de se faire beaucoup d’argent.

En Allemagne, le problème est encore plus endémique – fait que l’ECP imputerait sûrement à la légère différence de législation sur le proxénétisme – mais n’importe quelle saine analyse mettrait sûrement en évidence le lien entre la plus grande population et richesse de l’Allemagne et sa culture plus vorace de « méga-bordels ». Même si les propriétaires multimillionnaires néozélandais comme les frères Chow, qui possèdent la majorité de l’industrie du sexe de Wellington, font de leur mieux pour rattraper leur retard.

Si l’ECP avait été plus honnête et avait inclut à la fin de son film, un propriétaire de bordel avec un bronzage de poulet rôti, avec sa chemise en soie couverte de sueur et des chaussures en peau de crocodile, enfonçant l’argent des filles dans ses pantalons, à l’intérieur d’un bâtiment tapageur débordant de douzaines, voire de centaines de femmes nues aguichantes, comme solution aux problèmes des prostituées, le film aurait été moins émouvant. Ce n’est qu’une impression me direz-vous.

Peut-être qu’ils et elles auraient même pu finir avec un reportage sur des femmes accusant lesdits Frères Chow – qui opèrent sous le genre de législation que l’ECP et la police de Nouvelle-Zélande sanctifient – de harcèlement et de conditions de travail iniques face à l’avocat des Chow qui leur rétorque d’un air satisfait : « Si la situation était aussi mauvaise que ces femmes le prétendent, pourquoi est-ce-que le Collectif des Prostituées de Nouvelle-Zélande (une organisation quasi-équivalente à l’ECP) soutiendrait les affaires des Frères Chow ? ». Pourquoi hein ? on se le demande bien !

Très bien, je sais ce que vous pensez : « Et alors ? Et si ces méga-bordels n’étaient que des cristallisations contemporaines de l’enfer du « divertissement » ? Et donc ? Et qu’importe si les propriétaires sont de gros sexistes dont l’attirance envers l’industrie du sexe – en plus des machines à sous – n’est que leur envie de cultiver les femmes comme objet sexuel offert à tout homme qui a assez d’argent pour en profiter, et alors ? Ca craint, c’est vrai mais si cela empêche les femmes d’être littéralement tuées, parce que, comme on dit, « ça les garde loin de la rue », eh bien, on devrait probablement s’y faire. Et pourtant !…

Dans la Nouvelle-Zélande post-décriminalisation nous attendons toujours de voir une baisse du nombre de meurtres de femmes prostituées, comparé à la Suède, où est en vigueur le vilain Modèle Nordique, où il n’y a eu aucun meurtre – aucun – de prostituées durant leur travail depuis la mise en place de la réforme. On parle d’un pays qui a presque le double de la population de la Nouvelle-Zélande. Les critiques du Modèle Nordique aiment rétorquer à cette donnée : « nous n’avons pas de données fiables sur les meurtres de prostituées avant le changement de loi », comme pour impliquer que les hommes suédois ne se sont jamais vraiment amusés à tuer des prostituées.

Mais même si c’était le cas, et que ce manque de goût pour le sang était juste une sorte d’élément inviolable de la mentalité suédoise plutôt que le résultat d’efforts communs pour atteindre l’industrie et délégitimer la location des corps de femmes, cela ne change pas le fait que les prostituées ne sont pas tuées en Suède, ni maintenant ni jamais, et donc que les SuédoisES ont vu juste et que nous devrions peut-être y prêter attention. Surtout si l’on va faire une vidéo inquiétante sur les meurtres de femmes qui travaillent dans la rue.

Et voilà qu’intervient plus de propagande. Le film lui-même ne dit pas explicitement que décriminaliser l’industrie va mettre les prostituées hors des rues et dans de nouveaux bordels légaux, mais il combine texte et image de manière à insinuer cette implication au spectateur ou à la spectatrice lambda. Pour expliciter le non-dit : les prostituées de rue travaillent à l’extérieur à cause du manque de disponibilité de bordels, sans pour autant le dire directement. On peut se demander s’ils ne l’explicitent pas parce qu’ils savent que c’est un mensonge. Parce que la recherche montre que la plupart des prostituées de rue travaillent dans ces conditions à cause de problème de drogues dures :

« Le travail sexuel de rue a plus de chance d’être lié aux drogues et beaucoup au Royaume-Uni sont entrées dans l’industrie principalement à cause du besoin d’entretenir une coûteuse addiction à l’héroïne et au crack. Dans ce contexte, le sexe peut être échangé directement pour des drogues, ou les drogues peuvent être procurées par le proxénète en échange de gains. Par conséquence, elles ont tendance à être exposées à de plus forts niveaux de violence et abus de la part des clients et proxénètes que celles qui travaillent à l’intérieur. La pression des clients pour du sexe non-protégé combiné à une dépendance aux drogues et la compétition entre travailleurs-ses pour les clients, pousse les prostituées à accepter du sexe anal ou vaginal non protégé pour plus d’argent. De plus, les travailleuses de rue sont souvent sans domicile, habitant dans des squats ou des repaires à drogue qui peuvent de plus avoir un impact négatif sur leur santé à travers de la tuberculose et d’autres maladies respiratoires. » (Extraits 13,14,4,15,16)

De telles conditions sociales rendent le travail soit dans les bordels illégaux du Royaume-Uni soit dans les bordels légaux d’ailleurs, extrêmement difficile, donc il est difficile d’imaginer comment légaliser les bordels changerait les dures réalités des circonstances de ces femmes.

Je vais maintenant parler de mon expérience parce qu’elle confirme les faits relatés : la plupart des prostituées de rue que j’ai rencontrées se retrouvent rarement dans les bordels plus ou moins légaux du Royaume Uni parce que les profits des maquerelles étaient basés sur un certain degré de fiabilité que les femmes travaillant dans la rue ne pouvaient pas assurer. Quand une femme de la rue entrait de fait dans un bordel pour travailler, d’habitude, elle se faisait assez d’argent pour obtenir son crack ou son héroïne et repartir se balader de nouveau, et même les proxénètes les plus désespérés ne l’autorisaient pas à revenir. Lors de mon expérience dans les bordels légaux de Nouvelle-Zélande, Australie, et Suisse, j’ai vu ce genre de traitement plus de trois fois : les proxénètes avaient de plus fortes restrictions légales quant au « travail » sous narcotiques, une pression au profit plus forte à cause des frais de fonctionnement, et souvent une procédure d’admission plus stricte par rapport aux apparences. Un certain nombre de femmes dans les bordels légaux et illégaux dans lesquels j’ai travaillée avaient certes des problèmes d’alcool et de drogue aussi, mais plutôt dans le genre de l’alcoolique fonctionnelle, fumeuse d’herbe, ou consommatrice de médicaments sous ordonnance. Assez carburées pour supporter, pas assez pour ne pas être en mesure de venir travailler.

Fondamentalement, si c’est le meurtre de femmes très vulnérables qui vous concerne, plutôt que la poursuite d’une stance idéologique qui stipule que la prostitution est un commerce légitime indépendamment de ses conséquences, alors la décriminalisation du proxénétisme n’est pas nécessaire.

Ce dont les femmes dans l’industrie ont besoin c’est d’être décriminalisées en tant qu’individus, capables de tirer un profit pour elles seules, de quoi fermer leurs portes – même si elles « travaillent » là où elles vivent – et une issue de sortie disponible, c’est-à-dire des services d’aide à la désintoxication de drogue et d’alcool, pour quand et si elles veulent partir. Les femmes les plus vulnérables de l’industrie – les femmes dans les rues, les toxicomanes – ne tirent pas avantage de la décriminalisation du proxénétisme.

Et c’est pour cela que je ne suis pas émue par la fourberie du film de l’ECP et c’est pour cela que je ne signerai pas leur pétition. Parce que, précisément, je tiens à garantir sûreté aux prostituées.

*Sergei Eisenstein était un réalisateur russe formaliste et théoricien. Le premier film d’Eisenstein, le très révolutionnaire La Grève a été réalisé en 1924, suite à la publication de son premier article sur les théories du montage dans la revue Lef, éditée par le grand poète Maïakovski. Il proposa une nouvelle forme de montage, le « montage d’attractions », dans lequel des images choisies au hasard indépendantes de l’action, seraient présentées non pas dans un ordre chronologique mais dans la manière qui produirait le maximum d’impact psychologique. »

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Traduction : YA pour le collectif Ressources Prostitution

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