– « Pretty Woman » : 25 ans de mensonges au sujet de la prostitution

« Pretty Woman » : 25 ans de mensonges au sujet de la prostitution

Par Donna M. Hughes

Publié le 3 avril 2015 dans The PROVIDENCE JOURNAL

prettywomanCrédit photo : « Maria » par ©Brent Stirton et Julia Roberts dans une scène de Pretty Woman.

La prostitution se développe sur des mensonges. Les 25 dernières années, l’un des principaux promoteurs de désinformation à ce sujet a été le film « Pretty Woman », une comédie romantique à propos d’une prostituée simple et pauvre et un riche et bel acheteur de sexe qui tombent amoureux. La représentation de la prostitution dans ce film est très éloignée de la réalité.

Je peux déjà entendre des gens réagir : « Mais c’est un film ! Vous vous attendez à ce qu’Hollywood vous dépeigne la réalité ? Qui va prendre au sérieux une histoire hollywoodienne de Cendrillon trouvant amour et richesse dans la prostitution ? »

Eh bien, des milliers de femmes d’Europe de l’Est l’ont fait.

Environ dix ans après la sortie de « Pretty Woman », je menais une étude sur la traite des femmes en provenance de Russie et d’Ukraine. Des dizaines de milliers de femmes ont été amenées par la traite à la prostitution depuis la chute du régime communiste en Europe centrale et orientale. « Pretty Woman » était l’un des films préférés des femmes de toute cette région.

Les femmes qui s’étaient jusqu’alors vu refuser le droit de voyager et avaient peu d’informations exactes sur le monde souhaitaient ardemment croire en un fantasme. Et les trafiquants leur promettaient la possibilité d’échapper à la sombre pauvreté de leurs pays d’origine pour entrer dans le monde glamour de « Pretty Woman »; elles n’avaient qu’à suivre ces personnes en Europe de l’Ouest, aux États-Unis et dans d’autres pays.

Beaucoup de ces femmes ne sont jamais revenues dans leur pays. Certaines des victimes de la traite l’ont fait. Beaucoup d’entre elles ont échoué dans des établissements psychiatriques, tellement traumatisées qu’elles n’arrivaient plus à fonctionner ou même parler. Une militante russe anti-traite spécialisée avec qui j’ai travaillé m’a confirmé ces situations. Un weekend, lors d’une retraite, on lui a subrepticement administré un cocktail de drogues qui a entraîné chez elle une réaction psychotique. Elle a été envoyée dans un établissement psychiatrique à Moscou. Heureusement, elle a retrouvé la santé. Quand elle a été libérée, elle nous a dit que les salles de cet asile étaient pleines de victimes de la prostitution et de la traite. Leur histoire était loin de s’être terminée comme le film « Pretty Woman ».

D’ailleurs, nous n’avons pas besoin d’aller aussi loin pour comparer les fantasmes avec la réalité de la prostitution. Ici même au Rhode Island, les mensonges figurent dans les publicités en ligne de prostitution qui offrent « un bon moment » aux hommes. Et grâce aux excellents comptes rendus d’Amanda Milkovits dans The Providence Journal, nous lisons presque chaque semaine les détails de cas de traite à des fins sexuelles.

Dans le premier cas de traite criminalisé au Rhode Island, les trafiquants ont promis à leurs victimes l’amour… pour plutôt les forcer à se prostituer. Une annonce proclamait qu’une femme de 19 ans était « disponible toute la journée pour messieurs haut de gamme souhaitant passer du temps avec elle ». La réalité était qu’elle et trois autres femmes avaient été droguées et assujetties à deux proxénètes. Dans une récente interview, la jeune femme de 19 ans a déclaré avoir été « forcée à absorber tellement de drogue qu’elle en bavait constamment » (« Fighting for her soul: A sex-trafficking victim’s story », le 15 nov. 2014 – http://bit.ly/1q6fkf4) . Pourtant, des acheteurs ont payé pour l’utiliser à des fins sexuelles.

Une annonce promettait aux prostitueurs des « nuits de folie ». En réalité, la victime était une adolescente en fugue d’un foyer de groupe à Newport.

Souvent, la prostitution constitue en fait de la molestation et du viol d’enfants, comme l’a révélé une affaire de 2013, où une fillette de 14 ans de la ville de Pawtucket a été vendue à de 40 à 50 hommes sur une période de 30 à 45 jours.

Les acheteurs de sexe ne sont pas des types sympas. Ce sont souvent des hommes cruels qui ne se soucient pas de savoir si les femmes et les filles qu’ils utilisent sont droguées, soumises à un mac ou réduites en esclavage. En fait, la plupart des violences auxquelles sont soumises les victimes est perpétrée par les acheteurs de sexe.

La bonne nouvelle est que la police et les procureurs ne sont pas dupes des mensonges et des fantasmes de la prostitution et qu’ils arrêtent les proxénètes et des trafiquants. Au Rhode Island, les acheteurs de sexe seront tenus responsables de leurs actes. L’automne dernier, lors d’une conférence intitulée «Children, Trauma and the Integration of Care » (Les enfants, les traumatismes et l’intégration des soins», organisée par le Tribunal de la famille de l’État du Rhode Island, le procureur fédéral Peter Neronha a fait l’annonce que les acheteurs de sexe seront arrêtés dans le cadre des causes de traite à des fins sexuelles. Il y a quelques semaines, quand la police a perquisitionné un bordel tenu dans une résidence où étaient exploitées des femmes en provenance du Mexique, deux acheteurs de sexe ont été arrêtés.

J’espère que nous verrons beaucoup plus de ces arrestations, parce que les acheteurs de sexe n’ont rien en commun avec le personnage incarné par Richard Gere dans « Pretty Woman ». La prostitution n’est pas plus une comédie romantique que la violence conjugale ou le viol par une connaissance ne sont des histoires d’amour comiques.

Le film « Pretty Woman » n’est d’ailleurs qu’un exemple de la façon dont sont véhiculés les mensonges concernant la prostitution. Je suis heureuse de constater que beaucoup de gens du Rhode Island sont maintenant capables de débusquer ces mensonges.

Donna M. Hughes est professeure en études sur le genre et les femmes à l’Université du Rhode Island.

Original : http://www.providencejournal.com/article/20150403/OPINION/150409782/2011

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