– « J’ai survécu à la prostitution en tuant toutes mes émotions »

« J’ai survécu à la prostitution en tuant toutes mes émotions »

par Rebecca Mott

11226194_932572776810249_8053444246844522499_n

Discours de Rebecca Mott à la Feminism in London’s Conference 2015

« C’est vraiment formidable de prendre la parole ici. Je suis épatée par le travail acharné et le dévouement qui ont rendu possible cet événement.

J’ai hésité à l’idée de venir. C’est que je trouve le féminisme moderne bien neo libéral, et bien confortable avec le langage antiabolitionniste. Mais je suis fière d’être ici – parce que cette conférence a pris une position forte en appui au modèle nordique, et qu’elle a affirmé clairement qu’il n’était pas question de débattre avec le lobby de l’industrie du sexe.

Je parle en tant que femme radicale qui est sortie de ce milieu, et qui ne peut pas débattre quand je vois et je sais qu’un génocide constant de la classe prostituée est normalisé. C’est un génocide qui est rendu invisible par les profiteurs de l’industrie du sexe, qui veulent remplacer les prostituées mortes ou mises au rebut par des femmes et des filles encore plus vulnérables.

Si je me bats avec autant d’acharnement, c’est pour affronter la source de ce génocide – pour interpeller les créateurs de ce génocide, et ceux qui s’enrichissent à occulter cette horreur.

Dans tous les cas, il faut savoir que la source de cette haine et de violence envers les personnes mises en prostitution est la demande masculine ; ses créateurs sont ceux qui alimentent cette demande et qui en tirent profit. Voilà pourquoi moi et d’autres femmes qui y ont échappé endossons totalement l’approche nordique comme une première étape visant à obtenir des droits complets et la dignité pour toutes les personnes prostituées.

Nous devons continuer à braquer nos feux sur cette demande masculine, et à construire une culture où il devient normal qu’aucun homme n’ait le droit de consommer d’autres personnes pour sa simple cupidité sexuelle et ses fantasmes pornographiques.

Nous devons comprendre que notre objectif est combattu par le lobby de l’industrie du sexe qui insiste que tout se ramène aux choix individuels des femmes prostituées, ou qu’on devrait en parler en termes d’agentivité ou d’empowerment.

Si nous voulons de véritables changements, nous devons savoir que les droits que s’arrogent les hommes sont au cœur du problème. Mais aucun orgasme masculin n’est plus important que les droits humains fondamentaux des personnes prostituées.

Le micheton fait le choix de consommer celles-ci en sachant très bien qu’il a la permission complète d’être aussi violent qu’il peut l’imaginer. La plupart des prostitueurs consomment de la pornographie, et utilisent la prostituée comme leur joujou porno personnel. Cela signifie qu’ils vont la torturer, ils vont la violer, seuls ou en bande, ils vont la menacer – et ils iront même parfois jusqu’à l’assassiner.

Pour le prostitueur, toute forme de violence qu’il exerce n’est pas de la vraie violence – car il considère la prostituée comme sous-humaine, comme une marchandise sexuelle.

Ainsi, il n’arrive rien à personne.

Les prostitueurs sont autorisés à vivre dans cette bulle, parce que nous permettons au lobbyistes pro-prostitution de contrôler la langue, l’imaginaire et la culture quant à ce qu’il est permis de dire de la prostitution.

Je déteste le terme «travail du sexe». C’est un mensonge. C’est une violence mentale pour celles d’entre nous dont la réalité d’avoir été prostituée est inscrite dans chaque cellule de notre corps. C’est une formule qui gomme la violence masculine, qui gomme la structure du commerce du sexe, et gomme tout accès aux droits humains pour les personnes mises en prostitution. Il existe d’autres formules mensongères pour qualifier la prostitution : l’empowerment, le libre choix et la libération féminine. Ces termes sont utilisés pour occulter le commerce du sexe, en le faisant apparaître comme de gauche ou même féministe. Ils cachent le fait que la prostitution est la forme la plus dépravée du capitalisme que l’homme n’ait jamais inventée.

Tout ce qui compte pour le commerce du sexe est de faire des profits énormes – ces gens-là se foutent de la sécurité, des droits humains ou de la dignité des personnes mises en prostitution.

Pour comprendre la prostitution, vous devez voir de l’intérieur ce que c’est que d’être prostituée. Pour cela, je vais parler de ma personne – sans perdre de vue que ce que j’ai cru être de ma faute est pratique courante dans la prostitution vécue derrière des portes closes.

J’étais incapable de réaliser ma propre réalité. Comme tant de femmes aujourd’hui prostituées, je tenais le discours de l’empowerment, je prétendais contrôler les clients, et être satisfaite. Je ne pouvais admettre ma réalité – une réalité de violence constante, une réalité de viol après viol après viol, une réalité de suffocation mentale. Comme un enfant, je pensais qu’en fermant les yeux assez fort, toutes les mauvaises choses disparaîtraient.

Mais si vous m’aviez vu avec un regard clair, sans vous contenter d’écouter mon discours, vous auriez vu que mes yeux étaient morts ou vu dans ces yeux tant de douleur et de chagrin que des mots ne pouvaient les contenir. Vous auriez aussi remarqué l’immobilité de mon corps, comme celle d’un lapin mis en joue. Vous auriez vu que mon discours résultait d’un gavage de violence masculine.

J’étais tombée dans la prostitution.

Mais j’avais 14 ans, et j’avais vécu avec la violence mentale et sexuelle avant même de savoir parler. Les seules émotions où je pouvais me reconnaître étaient la haine de soi et une fureur sans mots.

Si vous voyez ça comme un libre choix, vous vivez sur une autre planète que la mienne.

J’ai survécu à la prostitution en tuant toutes mes émotions. J’ai assassiné toutes les expressions de douleur, de détresse ou de confusion. Je ne pouvais laisser pénétrer en moi la réalité de comment on me rendait sous-humaine, de comment on m’achetait et on me vendait aussi facilement qu’une miche de pain. J’ai fait de moi-même un robot. Je me suis peint sur le visage un sourire à la Pretty Woman, j’ai appris à simuler des orgasmes – et j’ai espéré finir assassinée. Ça me semblait être la seule voie de sortie possible.

C’est ça la prostitution d’intérieur mise à nu – mais vraiment, c’est juste un petit aperçu de cet enfer.

La plupart des femmes qui en sont sorties vivent des traumatismes complexes extrêmes. Elles ont habituellement besoin d’environ 3-7 ans pour faire face à la réalité d’avoir été prostituées, et de comment on les a rendues sous-humaines. Le traumatisme peut durer à vie pour beaucoup de femmes qui en sont sorties : c’est une ombre qui les suit.

Et c’est là que l’on peut constater le cynisme absolu de l’industrie du sexe. Ils utilisent ces traumatismes pour attaquer les femmes qui en sont sorties. Ils diront que nous sommes trop endommagées ou trop malades psychologiquement pour connaître nos propres réalités. Ils utilisent le fait que beaucoup de femmes qui en sont sorties souffrent de souvenirs fragmentés pour dire que nous sommes confuses ou des menteuses.

Ces attaques personnelles montrent la faiblesse de leur point de vue – il est démontré que leurs «faits» ne tiennent pas la route, quand ce ne sont pas de purs mensonges éhontés.

Essayez de garder l’esprit critique quand vous lisez ou écoutez le discours des lobbyistes pro-prostitution.

Pour terminer, je dirais : lisez et écoutez davantage les femmes qui en sont sorties. Nous sommes porteuses de vérités dangereuses – des vérités qui vont ébranler le socle de l’industrie du sexe jusqu’à le réduire en poussière. Nos mots, nos vécus et notre capacité à voir et à reconnaître certains liens – voilà l’explosif qui instituera justice et droits humains pour l’ensemble des personnes prostituées.

Version originale : https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2015/10/26/i-survived-prostitution-by-killing-all-my-emotions-painted-on-the-happy-hooker-smile-learned-to-fake-orgasms/

Version française : TRADFEM (tous droits réservés à Rebecca Mott)