– « Si le sexe est un travail, alors la pauvreté est nécessaire. »

Si l’on pense que le « travail du sexe est un travail », comment peut-on est être contre le sexe -loyer ?

Paru sur The newstatesman.com/ le 20 avril 2017

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La gauche « mainstream » n’a aucun droit à être choquée par ce nouveau phénomène qu’est le  sexe contre un loyer. C’est la conclusion logique d’une politique pseudo-féministe qui refuse de s’engager pleinement avec les questions de pouvoir et de répartition du travail.

Il y a une histoire particulièrement rustre à propos de Winston Churchill.  Il demandait à une femme de la haute société si elle coucherait avec lui pour cinq millions de livres sterling. On raconte que lorsqu’elle eut dit oui, il demanda si elle le ferait pour cinq livres :

Cette femme de la haute société répond : « Mr. Churchill, pour quel genre de femme me prenez vous ?! »

et Churchill de conclure : « Madame, nous l’avons déjà établi. Maintenant, nous ne faisons que marchander. »

Comme exemple de double standard, on ne fait pas plus moche. Pourtant, j’ai commencé à me demander si Churchill ne marquait pas un point. Si le sexe est déjà établi comme un moyen d’échange, pourquoi l’acheteur n’essaierait-il pas d’obtenir la meilleure offre ?

Par exemple, si au lieu de payer pour du sexe, un propriétaire préférait recevoir des faveurs sexuelles d’une locataire habitant gratuitement, serait-ce vraiment si horrible ? Oui, ça le serait, du moins selon de récents rapports de propriétaires faisant cette même offre. Apparemment, c’est un exemple horrifiant du marché de l’immobilier contemporain qui autorise des hommes prédateurs à exploiter les plus vulnérables.

Sauf que, si tel est le cas, pourquoi est-ce-que l’achat du sexe n’est pas vu avec le même effroi ? C’est le même marché, les mêmes corps, les mêmes « besoins ». Pourtant, loin de décrier l’échange de sexe contre de l’argent, des organisations soi-disant progressistes comme Amnesty International et le NUS [National Union of Students-Union Nationale des Étudiant-e-s, NDLT], ainsi que des partis politiques dominants comme les Libéraux/Libérales Démocrates et les Verts, militent pour une libéralisation des attitudes envers l’achat du sexe. Pourquoi est-ce-que ces deux choses sont vues si différemment ?

Il est vrai que le travail résidant comporte des risques et incertitudes spécifiques, mais il y en a-t-il parmi nous qui ressentent la même inquiétude par rapports à des domestiques ou des « au pairs » qui sont logé-e-s sans payer de loyer ? Et ne sommes-nous pas nombreus-e-s à faire des boulots qu’on préférerait ne pas faire, à une ou deux factures près de l’éviction ? Alors pourquoi est-ce-que le sexe comme loyer devrait être vu comme particulièrement problématique ?

Si cela tient du fait que c’est du sexe et non pas, par exemple, du nettoyage ou de la garde d’enfant, alors ne devrions-nous pas être capables de pouvoir expliquer pourquoi tel est le cas ? Et pourtant peu sont prêt-e-s à le faire, étouffé-e-s par les clichés anti-pensée —« le travail du sexe est un travail », « mon corps, mon choix »– qui ont fini par dominer l’approche de la gauche au sexe et au genre. J’irai jusqu’à dire que la gauche « mainstream » n’a pas véritablement le droit d’être choquée par le sexe comme loyer. Après tout, ce n’est que la conclusion logique d’une politique pseudo-féministe qui refuse de s’engager entièrement avec les questions de pouvoir et de répartition du travail, en choisissant au lieu de ça, de répéter inlassablement le droit des individus à faire ce qu’ils et elles veulent avec leurs propres corps tout en évitant toute analyse sur pourquoi un groupe cherche à contrôler les vies sexuelles et reproductives d’un autre. C’est la politique des non-penseurs et non-penseuses et les privilegié-e-s, et pourtant il semble que l’on peut tou-te-s se permettre d’être non-pensant-e et privilégié-e lorsqu’il s’agit du corps des femmes.

« Mon corps, mon choix », un slogan parfaitement approprié quand utilisé pour signifier que seule une femme enceinte devrait pouvoir prendre des décisions sur sa grossesse, a été diffusé ad absurdum. Pourtant, l’idée avec l’avortement c’est que la seule alternative existante est la grossesse, il n’y a pas de troisième voie où la femme déjà enceinte peut éviter cette dualité. Tel n’est pas le cas pour le travail du sexe ou la pauvreté. Il peut y avoir des alternatives à l’exploitation et à la misère. Que beaucoup de femmes aujourd’hui n’aient aucune alternative est surtout le résultat d’une politique qui valorise plus une liberté sexuelle illimitée pour tous (sans e) –cad une impossibilité– à une redistribution plus juste de choix limités pour toutes.

Si l’on considère les femmes comme des êtres humains complets, à part entière, alors on ne peut avoir un monde où il n’y aucune limite à l’accès qu’ont les hommes sur le « travail » sexuel et/ ou reproductif des femmes. « Le travail du sexe est un travail » et « mon corps mon choix » ne sont tout bonnement pas suffisants lorsqu’il s’agit de définir des limites. Nous devrions tou-te-s avoir des contraintes sur ce que l’on peut faire avec nos corps, tout comme nous devrions tou-te-s avoir des devoirs de soin envers le corps des autres. Le problème avec le patriarcat n’est pas tant qu’il empêche les femmes d’avoir les mêmes libertés physiques que les hommes à cause d’un inexplicable réflexe gyno-phobique, mais plutôt qu’il déplace la plupart des restrictions et devoirs physiques nécessaires liés à la reproduction et au soin sur les femmes, en laissant croire aux hommes que la libération signifie que personne ne te dit jamais « non ».

Une telle croyance, profondément pro-capitaliste et antiféministe, s’est infiltrée dans l’activisme soi-disant pro-femme, de gauche. Pourtant, quiconque en dénonce l’absurdité est soumis-e à un diagnostic digne d’un asile psychiatrique d’époque victorienne pour pudibonderie et putophobie. Prétendre être, d’un côté, anti-austérité et anti-néolibéral-e, tout en insistant, de l’autre, qu’aucune femme ne manque de moyens tant qu’elle est pourvue d’orifices à pénétrer, n’est pas progressif. Au contraire, c’est ultra-conservateur. Cela déplace le point de départ de notre compréhension du besoin et cela le déplace de manière malhonnête, en masquant la contrainte en la reconditionnant comme libre choix. Si tout est à vendre –n’importe quelle partie du corps, expérience, relation– alors les plus pauvres seront dépouillé-e-s/ dénudé-e-s. Si l’on accepte le principe qu’il n’y aucun problème avec l’achat du sexe –ou d’ovaire ou de lait maternel ou de bébés– alors comment peut-on s’assurer que l’offre satisfait la demande ? Uniquement en garantissant qu’il y aura toujours assez de femmes sans aucune autre option. Il n’y a pas d’autres moyens. Il n’y a pas assez de corps de femmes pour satisfaire les demandes sexuelles et reproductives des hommes sans qu’il n’y ait une quelconque forme de contrainte. C’est pourquoi le patriarcat, avec ses systèmes complexes de récompense et de punition, existe en premier lieu.

Si le sexe est un travail, alors la pauvreté est nécessaire. L’alternative au patriarcat n’est pas un monde où tout le monde peut devenir un patriarche de-facto, libre de faire tous les choix reproductifs et sexuels qu’il ou elle veut, conforté-e par le fait qu’il y aura toujours des corps volontaires pour satisfaire la demande. Le fantasme postmoderne qu’une sous-classe de femmes contraintes et précarisées peut être remplacée par une sous-classe de femmes cis désireuse et toujours-prêtes-pour-le-lit, même si charmant par sa naïveté, reste ce qu’il est : un fantasme.

Si vous pensez que c’est normal de payer pour le sexe en échange d’argent mais pas en échange d’un logement, peut-être devriez-vous reconsidérez quel genre de personne vous êtes.

Parce que je dirais que « nous avons déjà établi cela. Maintenant nous ne faisons que chipoter sur le prix/ marchander. »

Glosswitch est une féministe, mère de trois enfants qui travaille dans l’édition.

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