– Loi norvégienne : « Alors, pouvons-nous enfin amorcer le travail qui reste à faire ? »

ET … ACTION!

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Affiché le 15 août 2014, par MADELEINE SCHULTZ ©, sur http://kvinnefronten.no/and-action/

Alors, pouvons-nous enfin amorcer le travail qui reste à faire?

Le droit de décider de l’usage de son propre corps est un principe de base des droits de la personne. Mais le droit de décider de l’usage de son corps n’existe pas si le «nous» collectif n’est pas en mesure de désigner les structures sociales qui donnent priorité aux besoins de l’individu sur la condition des personnes les plus démunies et leur droit à la protection. Il est de notre responsabilité de voir le monde comme un ensemble, au-delà d’une vision sélective des individus qui représentent l’exception aux structures dominantes. C’est donc avec grand plaisir que le mouvement norvégien des femmes a accueilli l’évaluation de la loi sur l’achat d’actes sexuels, qui a été publiée le lundi 11 août. Selon cette évaluation, le marché global de la prostitution a baissé d’environ 25 pour cent; n’eût été la loi pénalisant l’achat d’actes sexuels, on estime que ce marché aurait été de 45 pour cent supérieur à ce qu’il est aujourd’hui. En outre, l’évaluation conclut également que la loi a contré des facteurs d’attraction importants, et probablement réduit l’ampleur de la traite des personnes en Norvège. Le service de police municipal de Bergen estime que la loi contre l’achat d’actes sexuels constitue la meilleure arme pour lutter contre la traite des personnes. La police d’Oslo dit n’avoir jamais rencontré un prostitueur qui admet avoir été conscient qu’une femme à qui il achetait des actes sexuels était victime de la traite. Aucun des services de police interviewés n’a signalé que le marché était devenu « clandestin ».

« Les prostituées doivent être visibles pour les clients. Le concept de la clandestinité n’est donc pas pertinent. »

Aujourd’hui, quelques jours après la publication de cette évaluation, il semble que le parti politique « Venstre » (libéral) tergiverse. Cependant, on est moins certain de ce que feront les deux partis de la coalition gouvernementale (les conservateurs et le Parti du progrès). Le seul élément d’information que j’aie réussi à recueillir est une phrase lâchée par le porte-parole du Parti de progrès au moment du dépôt de l’évaluation. Le lien vers ce clip vidéo a été supprimé, mais il y disait quelque chose comme, « Oui, la loi fonctionne si par ‘fonctionner’ vous voulez dire une baisse du marché. »  Vraiment? Que désireriez-vous d’autre? Si vous me demandez mon opinion, le Parti du progrès et les conservateurs prendraient une décision à bien courte vue s’ils adoptent une mesure qui déclenchera de nouveau contre eux l’équivalent du défilé du 8 mars dernier. L’interdit d’achat de sexe n’existe que depuis cinq ans en Norvège; c’était une base assez mince de travail pour l’équipe d’évaluation. Par conséquent, même si l’évaluation n’avait révélé qu’une tendance à la « fonctionnalité » de la loi, cela aurait dû être suffisant en soi pour la laisser faire ses preuves durant une plus longue période. Toutefois, maintenant que les témoignages de son efficacité sont aussi évidents, contre toute attente, il faudrait être plutôt stupide pour ne pas en prendre note. Il semble que certains éléments du Parti conservateur (dont le maire d’Oslo Fabian Stang) l’ont déjà compris, et nous nous accueillons M. Stang au sein du club des gens qui veulent préserver la loi et progresser.

Tous les éléments issus de l’évaluation n’ont pas été une surprise complète pour celles et ceux d’entre nous qui participent depuis quelque temps à ce débat. Lorsque Vista Analyse a conclu lundi, que la loi sur l’achat d’actes sexuels avait contribué à la baisse de la demande, certainEs d’entre nous avons sans doute reçu cette nouvelle comme la confirmation d’intuitions que nous avions déjà. Quoi qu’il en soit, ce fut un soulagement de lire une évaluation qui énonçait clairement les fonctions cruciales d’une loi récemment qualifiée de « non fonctionnelle ». Peut-être pouvons-nous maintenant passer à l’étape de prioriser un besoin que souligne également l’évaluation, la nécessité de renforcer les mesures d’appui aux femmes : « Le système de soutien comporte un certain nombre de bonnes mesures sociales, mais il est loin d’être suffisant pour répondre à quiconque cherche une véritable alternative à la prostitution, en termes d’e travail offrant des revenus équivalents. »

Voyons d’un peu plus près ce que dit réellement l’évaluation 

Le but de la loi

Le 11 janvier 2009, la Norvège a introduit une nouvelle loi sanctionnant l’achat d’actes sexuels basée sur le modèle de la Suède. L’ancien gouvernement (travailliste) tenait particulièrement à réduire l’ampleur de a traite des personnes à des fins sexuelles. On peut lire dans l’évaluation publiée : « L’objectif de la disposition pénale (sur l’achat d’actes sexuels) était de contribuer à transformer les attitudes, réduire la demande et donc le marché de la prostitution, et aider à prévenir que des hommes et des femmes soient pousséEs à la prostitution ou sujettes à la traite. » Ce sont essentiellement ces objectifs que deux économistes, une sociologue et un politologue ont maintenant tenté d’évaluer, même si la loi n’existe que depuis cinq ans.

Pour le Front des femmes de Norvège, le calcul s’est avéré assez simple : si vous coupez la demande, vous coupez nécessairement dans l’offre aussi, et les conséquences exigent des ressources. Qui est à blâmer quand une jeune fille de 15 ans vend son corps en échange d’un nouveau téléphone cellulaire? Sont-ce les parents? Est-ce la jeune fille elle-même? Non, la seule personne à blâmer est l’homme qui achète son corps. Et cette responsabilité doit être clairement présentée à la société si nous voulons freiner le recrutement pratiqué par l’entreprise et transformer les attitudes.

« Il est difficile de mesurer combien de personnes n’ont pas abouti en prostitution à cause de l’interdit, mais la prévention est une des raisons les plus importantes de conserver cette loi. » 

Et voici un point important : il est difficile de mesurer combien de personnes n’ont pas abouti en prostitution à cause de l’interdit, mais la prévention est une des raisons les plus importantes de conserver cette loi. Nous croyons que la loi interdisant l’achat d’actes sexuels a été un pas dans la bonne direction, et cette conviction est maintenant largement validée par l’évaluation publiée.

Le marché international influe également sur la Norvège

Un des principaux éléments de l’évaluation est un facteur qui est souvent resté absent du débat médiatique très polarisé que nous avons eu ces derniers temps. À savoir que nous vivions, juste avant l’adoption de cette loi, une grave crise financière en Europe. Une telle crise affecte également, comme pour tout autre marché international, l’offre et la demande sur le marché du sexe. « La crise financière et la situation économique dans l’UE et le reste du monde sont des facteurs qui influent sur l’ensemble du marché de la prostitution dans le monde,. Ils déterminent également l’attrait du marché norvégien aux yeux des personnes prostituées et des trafiquants », écrivent les auteurEs. « Avec un taux de chômage qui demeure élevé et une croissance économique stagnante en Europe, on s’attend à ce qu’en Norvège, l’offre – mesurée en termes du nombre de personnes offrant des services sexuels – va augmenter. »

Donc, parce que les temps plus difficiles dans le monde en général poussent davantage de femmes à la prostitution en désespoir de cause, il faut s’attendre à voir l’offre augmenter dans tous les pays, indépendamment des lois en vigueur : « Notre examen de l’évolution du marché montre que la forte croissance de l’offre, en raison d’un nombre croissant de prostituées en provenance notamment du Nigeria et de l’Europe de l’Est, a contribué à un effondrement de l’offre locale qui dominait auparavant le marché de la prostitution en Norvège. Une concurrence accrue avait ainsi créé un « marché d’acheteurs » bien avant l’introduction de la loi sur l’achat de sexe. »

« La loi a un effet d’apaisement sur le recrutement dans le marché norvégien de la prostitution. »

 

Néanmoins, l’évaluation conclut que la loi a contribué à réduire l’ampleur de la prostitution en Norvège. Ainsi, contre toute attente : « La perte de revenus dans le marché de la prostitution peut aussi avoir stimulé la motivation à chercher d’autres sources de revenus. La loi a un effet d’apaisement sur le recrutement dans le marché norvégien de la prostitution » et « sans la loi, il y a tout lieu de croire que plus encore de prostituées étrangères seraient venues en Norvège. »

La demande

L’évaluation révèle également une nette réduction de la demande (celle des prostitueurs) en Norvège. « Il nous semble très clair que la loi a eu pour effet d’amortir la demande »  et « On a constaté une baisse par rapport au marché d’avant l’instauration de la loi, mais aussi en regard de ce que serait sans doute ce marché aujourd’hui sans la loi sur l’achat d’actes sexuels. » En d’autres mots : Si une situation de crise financière en dehors de la Norvège avait augmenté l’offre du marché, nous aurions risqué, sans l’effet normatif de la loi, une explosion de la prostitution. Il est intéressant que l’évaluation fasse allusion à ce qui s’est passé en Allemagne et en France: une évolution, en Allemagne, contraire à celle de la Suède et de la Norvège, en raison du choix germanique de légaliser la prostitution :

« Les prostituées allemandes n’ont pas voulu cotiser aux prestations sociales comme le reste de la main-d’œuvre allemande. Au lieu de cela, le marché allemand a augmenté, en phase avec le resserrement du marché français. »

Évolution des mentalités

L’évaluation de la situation en Norvège fait référence à un examen semblable mené en 2010 en Suède, au chapitre de l’évolution des mentalités. L’étude suédoise a conclu à un changement des mentalités en regard de l’achat d’actes sexuels, et ce changement d’attitudes a peut-être conduit à une réduction du nombre de nouveaux acheteurs et donc à une baisse progressive de la demande.

Lorsque l’évaluation norvégienne se penche sur l’évolution des mentalités en Norvège, sa tâche est un peu plus difficile, parce que nous parlons d’un délai d’à peine plus que cinq ans. Pourtant, l’équipe d’évaluation a identifié des éléments probants manifestes d’un changement d’attitudes même en Norvège. Des personnes prostituées nous ont parlé d’un nombre moins élevé qu’avant de « clients chic de l’heure du lunch »; moins de jeunes hommes achètent du sexe; et la proportion de clients étrangers est relativement plus élevée qu’avant. En d’autres mots, plus de Norvégiens affluents et jeunes semblent avoir quitté le marché.

La situation des prostituées

Le fait que chaque femme restant dans la prostitution devra travailler plus longtemps et à un prix plus faible qu’auparavant est bien sûr susceptible d’avoir un impact sur son propre rapport à la loi. La plupart des sources informées du monde de la prostitution à qui les évaluateurs ont parlé estiment que le marché s’est détérioré et qu’il y a aujourd’hui plus de concurrence pour la clientèle. Certaines se considèrent harcelées par la loi elle-même, mais l’évaluation souligne également une chose : « Peu des personnes interviewées possèdent une expérience des conditions antérieures à l’adoption de la loi. » L’évaluation décrit sans ménagement à quel point la prostitution était stigmatisée avant l’instauration de la loi. Quoi qu’il en soit, l’évaluation signale également que plusieurs répondantes jugent positif le mandat proactif de la loi : « Elles ne souhaitent pas, par exemple, voir leurs propres enfants grandir en pensant qu’il est normal d’acheter une femme. »

Lorsque le Front des femmes s’est réuni à Malmö, en juin, Dorit Otzen du Swan Group danois a parlé un peu de leur conjoncture. Le Danemark est un pays où le marché de la prostitution est légalisé, et Mme Otzen a exprimé les préoccupations suivantes :

« À mon avis, il existe un lien manifeste entre la capacité des hommes à acheter des actes sexuels et le fait que 33 000 femmes au Danemark sont victimes chaque année de violences masculines. Quand les hommes maltraitent et violentent, habituellement impunément, une catégorie de femmes et qu’en même temps ils voient comment les femmes sont soumises au pouvoir des hommes dans la pornographie, il peut être très difficile de ne pas en déduire que les femmes sont une chose à laquelle on peut faire ce que l’on veut. Au Danemark, les femmes sont exposées à plus de violence qu’auparavant. À combien plus de violence allons-nous encore exposer les femmes? »

« Quand les hommes maltraitent et violentent, habituellement impunément, une catégorie de femmes et qu’en même temps ils voient comment les femmes sont soumises au pouvoir des hommes dans la pornographie, il peut être très difficile de ne pas en déduire que les femmes sont une chose à laquelle on peut faire ce que l’on veut. »

La nouvelle évaluation n’a pas déterminé si les attitudes des hommes envers les femmes en général avaient changé du fait de la loi. Mais il serait intéressant d’approfondir la question. Pour ce qui est de la violence infligée aux femmes prostituées, l’évaluation indique que la loi sur l’achat d’actes sexuels n’a eu aucun effet quantifiable sur les violences et les menaces à leur égard : « Aucun élément probant ne permet de présumer que la loi sur l’achat de sexe a eu une influence significative sur le signalement ou non d’actes de violence. Cependant, il existe plusieurs autres raisons expliquant le non-signalement de ces violences. S’il devait y avoir une plus faible propension qu’auparavant à signaler des agressions, cela pourrait tout aussi bien relever d’autres facteurs, comme une proportion accrue de femmes contrôlées par les trafiquants, de femmes entrées illégalement en Norvège ou de femmes qui viennent de pays où elles ont une expérience négative de la police. »

Les améliorations qui s’imposent

Même si l’évaluation conclut que la loi sur l’achat de sexe atteint ses objectifs, l’évaluation comporte des zones d’ombre auxquelles nous devons travailler. Le premier point porte sur l’expérience et les connaissances qu’ont les forces de police de la prostitution. Je peux moi-même attester que l’Académie de police d’Oslo n’offre que peu ou pas de formation sur ce sujet. L’évaluation indique ce qui suit : « Il est dit que plusieurs des prostituées, en particulier celles qui desservent les étrangers (à Oslo), ont peur de la police. C’est parce qu’elles ont vécu des affrontements avec des policiers qui se livrent à un harcèlement inutile dans les rues, sous la forme de recherche de préservatifs, ainsi que l’utilisation de la disposition juridique permettant leur expulsion. » Il convient également de préciser toutefois que les prostituées expriment elles-mêmes de la satisfaction à l’égard des policiers chargés et informés du dossier de la traite des personnes. Dans l’ensemble, les femmes interviewées ont appelé à une meilleure formation des policiers. Et c’est un facteur que confirment mes propres recherches – sommaires et rapides – à partir de l’université. Dans le marché de la prostitution de rue à Oslo, les femmes regrettent l’expertise de l’ancien groupe anti-traite STOP (qui n’est plus en fonction). Les policiers eux-mêmes demandent également plus de ressources pour mieux faire appliquer la loi.

« Des femmes en prostitution ont indiqué ne pas trouver que la loi a été accompagnée de ressources suffisantes pour empêcher des hommes et des femmes de continuer à être recrutées dans le monde de la prostitution. »

« Des femmes en prostitution ont indiqué ne pas trouver que la loi a été accompagnée de ressources suffisantes pour empêcher des hommes et des femmes de continuer à être recrutées dans le monde de la prostitution, » lit-on dans le rapport d’évaluation. De plus, les responsables des organismes travaillant auprès des personnes prostituées disent trouver absolument nécessaire de renforcer les ressources attribuées, vu l’absence de solutions de rechange à la prostitution. « Les agents du système de soutien offrant une voie de sortie n’ont jamais constaté de désir de rester dans la prostitution de la part des personnes prostituées. On constate au contraire un puissant désir de retrouver un sentiment d’humanité. »

Nous ne pouvons pas nous contenter d’observer que la loi a un effet de prévention et de réduction de la demande, et en rester là. Maintenant que nous voyons tous et toutes que cette approche fonctionne, nous devons utiliser notre énergie pour aller de l’avant et pour renforcer le système de soutien et les ressources policières. Et franchement, si vous CONTINUEZ à vouloir supprimer une loi aussi favorable aux droits fondamentaux de la personne que le révèle cette évaluation, alors vous pouvez garder la tête enfoncée dans l’anus et vous imputer la colère des femmes au prochain défilé du 8 mars!

Rédigé par :

MADELEINE SCHULTZ, tous droits réservés

Traduction : Martin Dufresne, pour TRADFEM

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